Avec Yssine Matola, VP People chez Semble
Yssine Matola est VP People chez Semble.
Elle explique comment réussir son internationalisation grâce à l'intelligence culturelle ? Comment manager l'interculturel ?
DÉFINITION ET IMPORTANCE DE L’INTELLIGENCE CULTURELLE
Pour Yssine, l'intelligence culturelle est un set de compétences qui nous permet de comprendre et d'évoluer efficacement au sein d'un contexte culturel qui n'est pas le nôtre. Pour un expat, on parle ici des codes, des valeurs, des habitudes, des manières de collaborer et travailler en équipe, du fonctionnement global en société, de tout ce qui fait la culture du pays qui l'accueille.
L'intelligence culturelle permet à chacun de comprendre et de faire preuve d'empathie envers des personnes qui ont ces contextes et ces références culturelles différents des nôtres.
Ce sujet est souvent réduit à l’angle d'un pays et de sa culture nationale, mais l'intelligence culturelle est un concept bien plus large. Elle concerne tout ce qui se rapproche d’un cadre commun en termes d'identités qu'il s'agisse de la culture propre à une entreprise, à un secteur ou à une communauté... Chaque personne est nourrie par plusieurs sets de références culturelles, et c’est ce qui forge l’identité et l’individualité de chacun.
Ces dernières années, de manière générale le monde du travail a évolué en phase avec notre société, et la mondialisation a particulièrement touché le monde des start-ups, que ce soit dans la manière dont on approche par exemple les talents, ou dans la manière dont on fait grandir une entreprise. Selon Yssine, l'intelligence culturelle est donc une notion de plus en plus importante à aborder pour les start-ups :
parce qu’elles vont avoir de plus en plus d’opportunités d'expansion à l'étranger,
parce qu’elles sont souvent amenées à embaucher des personnes qui sont basées dans différents pays (en remote par exemple), ou qui viennent de plusieurs pays et cultures différentes,
ou encore parce qu’elles vont connaître des phases de consolidations en fusion-acquisition par exemple, etc.
Les start-ups seront donc confrontées d’une manière ou d’une autre à cette notion d’interculturel :
Si elles ne prêtent pas attention à ce sujet, ne nourrissent pas le sujet de manière délibérée dès le début, elles vont rapidement se rendre compte qu’il y a plein de choses qui les freinent, qui ne marchent pas très bien, qui n’avancent pas correctement, ou que les équipes ont du mal à collaborer.
Au contraire, quand au départ elles entament une réflexion sur la manière dont on va se caler sur ces sujets, par exemple au moment où on commence à réfléchir à la culture de son entreprise, ce sera beaucoup plus facile et cela évitera pas mal de pain points de croissance à l’avenir.
COMMENT AUGMENTER LE NIVEAU D’INTELLIGENCE CULTURELLE ?
Le sujet de l’intelligence culturelle est très large et inclut les notions de culture d'entreprise, de diversité, d'inclusion, de sentiment d'appartenance, etc. Nourrir et augmenter le niveau d’intelligence culturelle est un cheminement, plutôt qu’un guide étape par étape, qui va s’appuyer sur différents éléments :
Un cheminement personnel avant tout
Pour Yssine, si on veut être en mesure de pouvoir pousser des messages et accompagner son organisation sur le thème de l'intelligence culturelle, il faut déjà avancer soi-même sur tous les sujets de self awarness, c’est-à-dire :
comprendre la manière dont on fonctionne,
nos biais,
notre rigueur,
les choses qui marchent ou pas sur la manière dont on interagit avec les gens, etc.
Cette démarche est essentielle pour pouvoir par la suite, dans son positionnement RH, être ouvert à la discussion et se sentir confortable sur tous ces sujets, sans tabous.
Pour démarrer, Yssine conseille, The Culture Map, le livre d’Erin Meyer, qui permet vraiment de comprendre les différences culturelles entre pays, de comprendre ces interactions qui sont transférables ensuite à n'importe quel type de différence culturelle.
Ensuite, Yssine recommande de développer ses connaissances et de s'exposer à du contenu varié, ce qui est peut être difficile à faire surtout si on a des opinions ou des croyances fortes. Mais se forcer à s'exposer à du contenu de cultures / de manières de penser / de points de vue totalement différents permet vraiment de s'enrichir et de créer déjà le terreau pour pouvoir collaborer avec des gens qui sont très différents de nous.
Le meilleur moyen d'ouvrir ses horizons et d'augmenter ses niveaux d'intelligence culturelle est bien sûr d’aller vivre dans une culture très différente de la nôtre.
Cependant, il faut avoir à l’esprit si on est founder, la posture de boss peut amener quelques passe-droits qui sont autant de biais. Et par ailleurs, même en vivant des années dans un autre pays, il y aura toujours des petits aspects, des nuances des normes culturelles qui vont nous échapper. Sans parler du fait qu’il est difficile de se changer soi-même complètement, on aura toujours des réflexes culturels de son propre pays d’origine, le fameux chasser le naturel il revient au galop...
Une adhésion des leaders de l’entreprise
En tant que RH dans une entreprise, pousser le sujet de l’intelligence culturelle - comme pour tout sujet people qui nécessite d’aller à contre-courant de ce qui se faisait - implique de discuter avec les dirigeants et de s’assurer du buy-in à ce niveau-là avant de le pousser dans les équipes.
Une relation de support vis-à-vis des managers
Toujours en tant que RH, il s’agit simplement d’être dans une posture d’ouverture, sans tabous : créer des opportunités d'échanges, de réflexion, être ouvert à la discussion et dans une relation de support vis-à-vis des managers. En effet, dès qu’on touche un petit peu aux sujets de la culture, de l'identité, les managers peuvent ne pas se sentir équipés pour aborder ces sujets, et se poser des questions du type : est-ce que je vais utiliser les bons mots, est-ce que je vais faire un faux pas, qu’est-ce qui se dit ou pas, etc.
Le RH est donc là pour aider, pour accompagner dans ce cheminement, et s'assurer qu’en permettant la discussion et la réflexion, chacun puisse avancer un petit peu sur ce chemin-là, avant de mettre en place des actions à plus à plus grande échelle au niveau de l'entreprise.
Planter les graines dès le départ
La plupart des start-ups en France commencent bien sûr par le marché français, parce que c'est leur marché, leur network, et c'est confortable. Mais les founders ambitionnent souvent une internationalisation de leur projet.
Alors plutôt que de mettre le paquet au moment-clé de l’internationalisation, Yssine conseille vraiment de planter les graines dès le début, car ce sont des sujets importants, des sujets de fond qui vont scaler en même temps que l’entreprise. Ce ne sont pas des choses sur lesquelles on se réveille un matin et on essaye de combler les gaps d'avant. Bien sûr, il est toujours possible et conseillé de mettre un petit coup de collier lorsqu’il y a ce type d’évènement particulier, mais c’est toujours plus simple de préparer et d’anticiper au maximum. Quelques exemples de ce qu’il est possible de mettre en place en amont, avant de s’internationaliser :
Produire sa communication en anglais
Commencer dès le début à avoir une culture de l’écrit en anglais sera beaucoup plus simple que de tout traduire et switcher toutes les données / la knowledge collective en anglais après 3 ans. Et cela n’a pas besoin d’être parfait dès le début, l’important c’est de planter ces graines et de prendre des habitudes. C'est toujours plus simple que d'essayer de transformer ensuite des choses, une fois que d’autres habitudes sont ancrées.
C’est particulièrement vrai en France, en particulier dans le milieu start-up tech, où si on s’ancre trop dans l’écosystème français, cela peut créer un déséquilibre et des problèmes d'intelligence culturelle qui font que c’est difficile ensuite de passer à l’international. Mieux vaut donc essayer de faire quelque chose qui est internationalisable dès le début au niveau du fonctionnement de base de l’entreprise.
Recruter des profils diversifiés, internationaux
De même, autant construire dès le début une diversité dans les profils recrutés : profils bilingues, des profils qui ont travaillé à l'étranger ou sur d'autres marchés. Sur Paris, il y a de nombreux profils internationaux, ou si on est ouvert au remote, il est possible de trouver des profils un peu partout. S’entourer de personnes qui ont des points de référence différents des nôtres va élever le niveau d'intelligence culturelle dans l’organisation, et apporter beaucoup dans le futur.
Réfléchir à l’organisation
Il faut également déjà réfléchir en amont à son organisation, comment elle pourrait fonctionner, quels sont les challenges que vous pourriez rencontrer, etc. Sinon il y a des risques quand on ne fait pas trop attention à ces sujets-là, comme par exemple : se retrouver avec deux cultures différentes, avec une équipe qui va se plaindre de l'autre pour une raison ou pour une autre (fiabilité, horaires etc)... Ce sont vraiment des choses qui sont très courantes, mais en essayant d'explorer un petit peu ces sujets en amont et de planter des petites graines, cela permet de faciliter les choses.
OUTILS UTILES CONCERNANT L’INTELLIGENCE CULTURELLE
Pour que tout le monde soit exposé à des cultures différentes, ou comprenne cette logique d’interculturel, Yssine recommande de faire les choses progressivement, sur-mesure, en fonction de la culture de l'entreprise et du point de départ. Au début, chaque entreprise a un niveau d'appétence et un niveau d'intérêt sur ces sujets qui lui est spécifique. Donc connaître son organisation, comprendre d'où on part est important pour pouvoir faire les choses de manière progressive, pour que ça parle aux gens et qu’ils ne se braquent pas. Cependant, quelques outils peuvent aider :
Les tests d’Erin Meyer
Au-delà du livre, Erin Meyer propose sur son site internet plusieurs tests, notamment :
The Country Mapping Tool qui permet de comparer différentes cultures et recevoir une cartographie culturelle de ces pays.
The Personal Profile Tool, qui est un test individuel pour voir où on se situe sur des échelles comportementales de Culture Map.
Ce sont des outils intéressants à faire au niveau de l'équipe pour ensuite ouvrir les discussions, et pour commencer à entrer et avancer sur ces sujets-là, surtout que ce ne sont pas des sujets polarisants. On pourra plus tard pousser un petit peu plus loin et augmenter le niveau de confort de l'organisation, avec des sujets qui peuvent être plus polémiques : religions, sujets sociétaux, origine, neurodiversité etc.
Constituer une bibliothèque interne sur tous les sujets de l'interculturel
Dans une précédente entreprise, Yssine avait constitué un Belonging Learning Space, une sorte de bibliothèque où ils avaient collecté des ressources sur tous les aspects de l'identité (genre, orientation, neurodiversité, parentalité etc). Tous ceux qui voulaient se familiariser un peu plus avec un sujet, ou pouvoir accroître leur connaissance, pouvaient piocher librement dans ces ressources.
Lors de la sélection des ressources, ils avaient vraiment essayé de sélectionner des auteurs qui venaient vraiment de l'identité en question, ou du chemin de vie en question, et non pas des livres d'experts externes qui parlent d'un sujet qu'ils ont étudié mais dont ils n’ont pas fait l'expérience personnelle.
C’est un moyen très riche pour s'ouvrir sur ces sujets d'intelligence culturelle, parce qu’on voit vraiment leur avis, leur mode de réflexion, leur cheminement. Donc s'ouvrir un peu à la littérature étrangère si c'est sur un pays, ou autre en fonction des sujets, est très efficace.
TOUT SAVOIR SUR YSSINE MATOLA et sur SEMBLE
Yssine Matola est VP People chez Semble en Angleterre depuis 1 an, mais elle a une douzaine d'années d’expérience dans différents rôles People RH sur des scopes principalement européens. Elle a commencé sa carrière en France dans des grands groupes (GDF-Suez, Airbus), avant de rencontrer le milieu des start-ups, principalement dans le secteur tech. Elle s’est ensuite expatriée à Londres en Angleterre il y a 6 ans, où elle a travaillé dans différents secteurs (cybersécurité, fintech health tech…). Elle fait également du consulting.
Semble est une start-up Health Tech, qui permet au secteur de la santé en Angleterre d'avancer dans sa transformation digitale. Concrètement, c'est une plateforme qui permet aux médecins et à leurs équipes de gérer la totalité de leurs opérations et d'améliorer l'expérience patient. Aujourd'hui Semble a une soixantaine d'employés, essentiellement en mode de travail hybride, et l’entreprise a levé 12 millions de dollars à ce jour.
Vous pouvez contacter Yssine Matola sur Linkedin
Site web de Semble : https://www.semble.io/
Ressources recommandées par Yssine :
Le livre The Culture Map de Erin Meyer
Le livre Building for Everyone de Annie Jean-Baptiste
Tools recommandés par Yssine :
Slack (pour ses fonctions d’intégration et automation, création de bots)
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