Avec Lina Sarmiento, HR Business Partner chez BIM&CO
Lina Sarmiento est HR Business Partner chez BIM&CO depuis 2 ans. Après 7 ans en ingénierie financière, au cours desquels elle a beaucoup appris sur l'humain ce qui l'a amenée à vouloir désormais se consacrer totalement aux RH.
Le thème des émotions au travail a été un fil rouge de Lina depuis le moment où elle a décidé de changer de carrière. Dans les entreprises où elle est passée, lorsqu’elle gérait des projets, elle a constaté qu'il était très difficile de discuter de ce qu'on pouvait ressentir, de pouvoir exprimer que telle chose avait généré telle ou telle émotion. Elle s’est rendue compte que la communication sur ces sujets-là était pourtant très impactante, et quand elle a débuté en tant que RH, elle a placé cela au cœur de sa pratique. En travaillant 2 ans chez Front, où c’était quelque chose qui se faisait déjà, elle a pu mesurer l'impact énorme de ces pratiques de communication incluant les émotions :
sur la motivation des équipes,
sur le stress des équipes, en faisant redescendre le niveau de stress,
sur la performance, et donc le chiffre d’affaires,
et sur la diminution des frictions dans les équipes.
LA PLACE DES ÉMOTIONS AU TRAVAIL EN 2022
Ce que perçoit Lina aujourd'hui, c’est qu’on demande encore énormément aux gens de laisser les émotions à la porte quand ils arrivent au travail. C’est extrêmement difficile parce qu’en tant qu’humain cela fait partie de notre constitution, on a des émotions qu'on le veuille ou non. Le fait de vouloir laisser les émotions en dehors du travail pose plusieurs problèmes :
cela signifie qu'on commence à porter des masques en arrivant au travail,
et cela engendre beaucoup de frustration : demander aux gens d’être “professionnel” sous-entend de contenir et réprimer ce qu'ils sont en train de ressentir.
Par ailleurs, pour les managers c’est difficile de gérer des situations où les émotions s'expriment. En effet, ils ne sont pas formés pour accueillir les émotions ou même ouvrir un espace pour que les personnes puissent discuter de leurs émotions ou de ce qu'ils sont en train de ressentir. La source de ce problème est même beaucoup plus large, car personne n’est formé à ça : même avant le monde du travail, c’est un sujet qui n’est quasiment jamais abordé, ni à l’école, ni à l'université.
Au cours de leur jeunesse, la plupart des gens se construisent et sont en connexion avec des personnes souvent choisies, et qui ont des systèmes de fonctionnement assez similaires. En général, ces personnes grandissent ensemble, ou vivent des moments forts à l’école ou l’université. En arrivant dans le monde du travail, c’est différent, il faut composer avec des typologies de personnes différentes, sur des sujets extrêmement stratégiques ou business. Cela engendre du stress au travail, de la pression, et les relations peuvent être compliquées voire parfois même explosives dans certaines circonstances.
Aujourd'hui, on n'investit pas assez sur ce sujet-là et on ne forme pas les gens. On s’attend à ce les gens sachent naturellement communiquer et exprimer ce dont ils ont besoin, ce qui est rarement le cas. Nombre de choses ne passent pas en entreprise, alors qu’elles sont en fait juste liées à de l'émotionnel ou à une situation de perception. Il faut donc en parler, et être formé pour ça.
COMPRENDRE LE RÔLE DES ÉMOTIONS
Lina a une image pour illustrer ce que sont les émotions et leur fonction. Les émotions seraient comme un grand éléphant qui se balade un peu partout, et notre tête serait la personne qui est au-dessus de l’éléphant, et qui essaye de le diriger en fonction de toutes les informations autour d’elle. Mais un éléphant, c'est grand, c’est lourd, et même si on croit pouvoir le contrôler parce qu’on se trouve au-dessus de lui, en fait c’est très difficile de le diriger. On n'a donc pas vraiment le contrôle de nos émotions, elles sont difficiles à réprimer.
Les émotions sont une très grande source d'information pour nous. Les humains sont des animaux sociaux, et donc en fait le moindre geste, la moindre parole, façon de regarder, et même parfois des choses beaucoup plus imperceptibles que cela, donne une information à l'humain qui est en face : on sait s’il est content / mécontent / en colère / angoissé, etc. Et c'est parce qu'on a ces informations qu'on peut construire un projet ensemble, que les choses peuvent faire sens : si on a de la validation en face par une émotion positive, forcément on continue à aller dans le même sens ensemble. Et cela s’applique bien sûr au monde du travail, car une entreprise c'est un groupe d'humains qui ont un projet commun et qui avancent ensemble.
Lina a lu un article intéressant du Harvard Business Review s'intitulant “Handling negative emotions in a way it’s good for your team” qui illustre bien comment il est difficile de réprimer ses émotions et comment elles peuvent être utiles pour motiver un groupe. L’image était celle d’une équipe de foot au cours d’un match. Cette équipe, très entraînée, perd mais à l’occasion d’égaliser juste avant la première mi-temps. Les joueurs sont très contents car ils espèrent gagner le point et donc repartir motivés pour la deuxième mi-temps. Le joueur tire mais rate le but, et donc ne réussit pas à regagner l’avantage, ils sont tous très déçus et en particulier le coach qui lui est même en colère car il avait vraiment bien préparé l’équipe. Ce coach a 3 façons possibles de réagir, avec des conséquences différentes :
Solution 1 : se réprimer
Le coach ne va pas montrer qu’il est déçu et en colère, parce qu’il imagine que ses joueurs seront encore plus démotivés et joueront donc une 2ème mauvaise mi-temps. Il va discuter, faire le point mais ne va rien montrer de ses émotions. Mais en tant qu’humains, tous les joueurs perçoivent inconsciemment tous les signes, tout le langage non verbal, qui montrent l’état émotionnel du coach, ils ont donc compris. Et “il ne s’est rien passé”, c’est le meilleur moyen pour que ça se passe mal ensuite... Les études montrent que percevoir la colère fait augmenter la pression artérielle, donc fait augmenter l'état d'alerte et l’état de stress. Qu’importe ce qu’a dit le coach, les joueurs seront stressés et vont donc mal jouer. Ce n’est donc pas une solution qui fonctionne pour le succès de l’équipe.
Solution 2 : laisser s’exprimer ses émotions
Il est vraiment en colère et il va déverser ses émotions sur l’équipe, jusqu’à même leur crier dessus. Evidemment, l’équipe repart complètement démotivée… Cette solution ne marche pas non plus.
Solution 3 : la réévaluation
Le coach va redescendre lui-même son niveau de stress avant de parler à son équipe, en se raisonnant de cette manière : “oui on s’est entraînés, on est très déçus, mais il reste la deuxième mi-temps, en plus ce n’est pas la fin de la saison, et au pire, il y aura une autre saison derrière, donc on va s'en remettre”. Ainsi en baissant son niveau de stress, il devient plus calme et il va pouvoir donner beaucoup plus de motivation de manière calme et structurée. Et donc en réévaluant, il va accepter et pouvoir dire à son équipe : “on est tous très déçus de ce qui s'est passé, on avait énormément travaillé pour ça et là on n’a pas réussi à égaliser, mais c’est ok parce qu'il reste la deuxième mi-temps”, et là il va pouvoir dérouler son speech pour motiver ses joueurs. Mais le fait d'accepter de pouvoir avancer en disant on est tous dans le même bateau, et ensuite d’exposer la stratégie qui sera utilisée, cela fait redescendre le stress de tout le monde, et également cela laisse la place à chacun pour exprimer comment il se sent.
Cette troisième solution, si on reprend la métaphore de l’éléphant, ce serait comme si la personne qui dirige l’éléphant descend, et se pose les questions : qu'est ce qui se passe, qu'est ce qu'on fait, où est ce qu'on va, comment on fait pour que ça se passe bien ?
Les travaux scientifiques sur les émotions sont très récents, ils datent des années 80/90, c’est donc un sujet peu connu du grand public. Une des ressources ludiques qui aborde ce sujet très bien est le film de Pixar “Vice Versa”. De ces études, il ressort notamment que :
Les émotions ont des fonctions utiles, elles sont là pour certaines raisons : la colère c'est pour éviter de se faire envahir ou de se faire marcher sur les pieds, la tristesse est là pour exprimer une forme d'abattement qui traduit un besoin de se connecter à des gens, etc.
Les émotions peuvent dialoguer entre elles, et avec d'autres parties du cerveau. Pour reprendre l’exemple du coach et son équipe, même s’il est submergé par la déception, il peut accepter cette émotion et se dire qu’il n’est pas cette émotion, ce qui lui permet ensuite d’avancer plus sereinement.
LES OUTILS POUR GÉRER LES ÉMOTIONS
Pour mettre en place le sujet de la souffrance au travail, Lina a pioché des éléments dans différentes approches :
dans la CNV (Communication Non Violente),
dans des workshops sur les émotions au travail liés à un groupe qui s’appelle “the rider and the elephant”,
et dans toute la littérature sur le sujet.
La CNV est un outil très puissant parce qu'il permet d'exprimer l’émotion qu’on est en train de vivre d'une manière non blessante pour son interlocuteur. Et même si la CNV peut apparaître “gentille” au premier abord, car en exprimant son émotion on ouvre aussi sa vulnérabilité, elle permet aussi de poser ses limites :
qu'est ce qui est important pour moi ?
comment faire pour ne pas être aussi violent avec moi même ?
savoir dire non, je ne suis pas d'accord, par exemple cette émotion que tu es en train de me projeter ne me convient pas, ou cette façon de fonctionner dans l'équipe ne me convient pas. Ce sont des perceptions, cela ne veut pas dire qu’on a toujours raison, donc derrière il doit y avoir toute une discussion, du feedback.
Un bon livre de référence en CNV est “Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)” de Marshall Rosenberg. Le but est d’éviter les “boucles émotionnelles” : quand par exemple une personne énervée parle à une autre personne, classiquement l’autre va se sentir agressé et va s’énerver aussi pour se défendre, et c’est sans fin. En fait, personne n’est pas vraiment agressif, en général on se défend parce qu'on a peur, car l'être humain se perçoit bien souvent comme une proie plus que comme un prédateur. L'idée pour couper cette boucle, c’est de présenter ses émotions, en organisant un petit peu sa pensée là-dessus, pour que l'autre cesse de nous percevoir comme une menace mais comme quelqu'un qui essaye de construire avec, et sur un langage qui a été décrypté qui est le langage des émotions.
Par exemple, un CTO dans l'entreprise a du mal à tenir sa roadmap produits, et son CEO lui ramène de nouvelles features. Plutôt que de répondre que non, ça l’ennuie, il a déjà du retard, la démarche CNV consiste à :
se connecter sur ce que ça me fait émotionnellement. Donc dans l’exemple le CEO peut dire : “ça me fait peur en fait, je suis inquiet je commence à être un peu angoissé” etc.
réfléchir à quel est le besoin non satisfait derrière, parce que les émotions sont connectés à des besoins. Donc ici le CTO a besoin d’avoir un sentiment de contrôle sur la roadmap, il a besoin que ses équipes se sentent bien en étant dans le timing, etc.
puis faire une demande, une proposition constructive. Par exemple, le CTO peut dire : “plutôt que de me donner ces features au fur et à mesure, je propose une réunion mensuelle où tu me présentes tous les retours du marché, et on voit ce qu'on met dans la roadmap ou pas”. Et après, le CEO est libre d’accepter ou non, c’est une proposition et non une exigence, mais en tout cas l’approche est constructive.
Et justement, Lina propose souvent aux managers de poser leurs questions en proposant plusieurs solutions. Cela permet aussi de faire redescendre ce sentiment d’être une proie : tout le monde travaille ensemble et personne n’essaye de piéger une autre personne.
MISE EN PLACE DU SUJET DES ÉMOTIONS CHEZ BIM&CO
Lina est arrivée dans un contexte un peu particulier chez BIM&CO, puisque c’était juste après le premier confinement. En faisant des one and one avec quasiment toute l’entreprise, elle s’est rendue compte que cette situation particulière avait généré énormément de stress, de non-dits, et pour certains de la colère. Elle s’est donc dit qu’il fallait vraiment en parler. Elle a profité d’un outil déjà mis en place chez BIM&CO qui s’appelle la boost, qui est un évènement d’une semaine pendant lequel les collaborateurs se boostent à travers de nombreux workshops sur différents sujets. Cette fois, l’évènement avait lieu en ligne et avait donc pour thème les émotions :
La première étape portait sur les ressentis émotionnels de chacun. Lina a utilisé pour cela la méthodologie de the rider and the elephant, en se servant de cartes avec des mots. Chaque personne doit d’abord exprimer ce qu’elle ressent elle-même aujourd'hui, ensuite en tant qu'équipe etc.
Ensuite il y avait la question suivante : “partagez avec tout le monde quelque chose que vous avez fait et qui a généré une émotion très positive en face et dont vous êtes très fiers”. Cette question a généré une connexion assez incroyable entre les gens, parce que tout le monde a cherché et aussi dévoilé une partie de vulnérabilité sur de belles choses qu'ils avaient faites.
D’autres questions consistaient à savoir quelles émotions les collaborateurs avaient envie de vivre au travail, et celles qu’ils n'avaient pas envie de vivre. Et ils ont beaucoup discuté avec l'équipe sur ce que ça impliquait derrière, en termes d'organisation, de process, de façon de communiquer avec les autres, et donc de feedback. Le but était de dire qu’il y aurait un espace avec de la tolérance pour s’exprimer, accueillir les émotions même négatives, et essayer de comprendre ce qui se passe derrière.
Ces sessions ont engendré beaucoup d'autres workshops pendant l'année, avec des thèmes en lien avec les émotions comme :
le feedback,
la culture : comment faire pour maintenir la culture, notamment en protégeant cet espace où il est possible de s'exprimer sincèrement, sans masque.
comment communiquer une émotion qui peut être perçue comme négative mais qui a besoin d'être exprimée.
MOMENTS ET RITUELS POUR ABORDER LES ÉMOTIONS EN ENTREPRISE
Il ne suffit pas qu’un manager dise que sa porte est toujours ouverte pour que les gens viennent, cela ne suffit pas pour que ça marche réellement, il faut pour cela créer des rituels qui amènent les gens à se sentir bien. Car pris dans le quotidien, roadmap / business etc, il n’y a pas d’espace pour ces moments. Dans l’organisation de BIM&CO, trois grands moments, qui existaient déjà, se prêtent particulièrement pour intégrer l’expression des émotions, chacun d’une façon différente :
Les one and one
Ce sont des moments très importants pour savoir comment ça se passe pour la personne, à travers différentes questions comme :
Qu'est-ce qui t’as rempli d'énergie la semaine dernière ?
Qu'est-ce qui te bloque ?
Qu’est-ce qui te crée de la friction ?
Est-ce qu’il y a des sujets où tu te sens un peu bloqué ou pas à l'aise, etc.
Chaque personne va s'exprimer différemment, mais ce sont des questions qui incitent à exprimer ses émotions, par exemple : c'est difficile, c'est compliqué, j'ai peur, etc.
Plusieurs aspects sont importants pour les one and one :
Il faut absolument les préparer, sinon c’est difficile de savoir spontanément ce qu’on a envie d'exprimer, de partager. Lina répète souvent aux personnes : c'est ton espace, cette demi-heure qu’on a ensemble, elle est à toi. Et quand elle coache les managers, c’est aussi ce qu’elle leur conseille de dire.
Et ne jamais finir en avance les one and one, parce que parfois le silence aussi permet de dire des choses qu’on n’a pas dit.
Les points en monthly
Les monthly ne servent pas uniquement à savoir si la personne a rempli ses objectifs entre autres, ce sont aussi des moments privilégiés où le manager doit donner de l'espace et dire :
comment je peux faire pour être un meilleur manager pour toi ?
comment je fais pour que tu te sentes mieux dans l'équipe ?
Ces questions amènent forcément à l'expression de son besoin, et à l'expression de ce qu'on est en train de ressentir ou vivre. Il peut arriver que ce soit uniquement du positif, et dans ce cas il faut veiller à comprendre comment continuer à le maintenir, mais il peut arriver qu’il y ait des choses à régler.
Les monthly sont des moments où les gens peuvent exprimer des choses mais pas de la même manière qu’en one and one avec son manager, ce n’est pas le même cadre. Il y a des moments de questionnements, où la personne peut dire par exemple :
“je me pose beaucoup de questions sur tel ou tel sujet, c'est vrai que ça me fait peur”,
“ça m'angoisse un peu parce que j'ai pas eu l'info, donc j'ai besoin d’avoir de la visibilité”, etc
Donc à cette occasion, au-delà du côté émotion, on peut exprimer ses besoins, par exemple celui d’être rassuré.
Le Pit Stop
Comme beaucoup de personnes travaillent à distance chez BIM&CO, il y a un besoin de créer des moments d'équipe. Ils ont donc créé une initiative qu’ils ont appelé le Pit Stop : dans le langage des courses automobiles, c’est le moment où la voiture s’arrête pour changer les roues, reprendre de l'essence, etc. C’est donc un rituel trimestriel dans l’entreprise, où tout le monde se retrouve, sous forme de speed dating avec cinq personnes. Il permet de créer du lien, mais aussi de se décharger et se recharger émotionnellement.
COMMENT PARLER DES ÉMOTIONS EN ENTREPRISE
Pour que ces rituels fonctionnent bien, certains élément sont importants à prendre en compte :
La façon de poser les questions
Dans ces rituels, la façon de poser les questions est très importante. Si on demande le classique : ça va ? La réponse sera automatiquement toujours oui et ne donnera aucune information.
Comme dans les exemples de questions donnés en one and one et en monthly, il faut toujours poser des questions ouvertes, car les questions fermées (dont la réponse est oui ou non) ne donnent que très peu d’informations, et la personne a peu de place pour s’exprimer. Les questions ouvertes commencent souvent par le vocable “que”, “comment”... Alexis par exemple commence toutes ses sessions de coaching par : “quelle est ta météo intérieure ?” au lieu du classique “ça va ?”. C'est une manière d'ouvrir la discussion en partant de l'état émotionnel.
Penser au besoin de reconnaissance
Pendant ces rituels, il est important de montrer à la personne qu’on tient à elle, qu’on l’apprécie en tant que personne. Souvent un collaborateur qui a accompli ses objectifs est récompensé par un bonus, ou monte en hiérarchie. Mais le fait de simplement apprécier la personne à sa juste valeur est vraiment satisfaisant pour elle, en plus c’est motivant et cela donne beaucoup plus de matière et de sens à ce qu'on fait. Et d’ailleurs, dans ces moments privilégiés d’échanges, la personne peut aussi montrer de l'appréciation envers son manager, cela ne va pas que dans un seul sens.
Le sujet de la reconnaissance est lié au relationnel : les gens ont besoin d’être perçus comme des personnes complètes, ou ont besoin qu’on voit qu’elles font des efforts, etc. Et cela fait partie du langage de l'émotion, et ne peut se faire qu’en se connectant vraiment et sincèrement à la personne. Si un manager dit qu’il est d’accord pour donner de la reconnaissance à quelqu’un, mais ne sait pas quoi lui donner, le point de départ, c’est de se connecter suffisamment à cette personne, et donc de passer du temps avec les gens dans votre équipe, de créer du relationnel. Cela semble basique mais si le manager ne s’intéresse pas vraiment aux gens de son équipe, ils le ressentiront et il ne se passera rien dans les échanges.
INTERAGIR AVEC LES PERSONNES EXTRÊMES DANS LE SPECTRE DES ÉMOTIONS
Tous les gens sont différents dans leur façon / intensité de ressentir et d’exprimer leurs émotions, et sur tout ce spectre, il existe 2 typologies extrêmes :
Les personnes dites hypersensibles,
et les personnes beaucoup moins connectées à leurs émotions, jusqu'à ce qu’on appelle l'alexithymie : ce sont des personnes qui ne sont pas connectées à leurs émotions, et donc qui n'arrivent pas vraiment ni à les lire ni à les exprimer.
C’est important de parler de ces particularités car ce sont des profils auxquels on peut être confrontés dans le cadre du travail, et pour lesquels les managers n’ont pas d'outils. Et par ailleurs, ce sont des personnalités avec lesquelles il peut être difficile de travailler en équipe.
Les personnes hypersensibles
Typologie de ces personnes
On peut imaginer que la façon dont les émotions varient ressemble au mouvement d’un pendule. Pour la plupart en fait des gens, leur pendule varie avec une faible amplitude soit dans la négativité soit dans la positivité selon l’émotion ressentie, puis se recentre assez vite. Par contre pour les hypersensibles, l’émotion varie fortement en intensité avec une amplitude beaucoup plus large, et surtout dure beaucoup plus longtemps, c'est-à-dire que la personne reste dans l'émotion beaucoup plus longtemps.
Il existe 2 grandes typologies d’hypersensibles :
La première typologie exprime facilement ses émotions, jusqu’au débordement, et on ne sait pas toujours gérer cela. Elles sont perçues comme extraverties. Elles peuvent passer de la curiosité extrême à la méfiance, elles peuvent être très audacieuses puis tout d'un coup deviennent très angoissées. Donc elles peuvent se lancer de gros challenges au niveau de l'équipe, et ensuite être dans l'angoisse totale. Ce sont donc des personnes qui savent mal gérer leur stress.
La deuxième typologie correspond à des gens très calmes, plutôt inhibés dans leurs émotions. Ils sont en général plutôt en retrait par rapport aux équipes, on les perçoit comme introvertis. Dès que quelque chose d’un peu impactant se passe, soit ils se referment, soit ils sont un peu fébriles. En général, le manager ou l'équipe en face ne sait pas trop comment réagir, et a donc tendance à laisser un peu la personne tranquille, mais cela ne règle pas le sujet.
Comment gérer ces personnes
Première étape : accepter ce trait de personnalité, accepter que la personne est comme ça. Car souvent un manager ou une équipe voudrait que cette personne fonctionne de manière ABC. Mais ils parlent de leur fonctionnement à eux, et pour ces personnalités un petit peu aux extrêmes, c'est plus difficile à imposer. Accepter quelqu'un d'hypersensible est difficile, et les gens parfois peuvent être extrêmement durs avec cette personne, ce qui est complètement contre-productif.
Accepter, cela signifie être à l’écoute, essayer de comprendre ce qui se passe chez cette personne, essayer de comprendre comment elle fonctionne, et peut-être qu’elle a déjà certaines clés, des outils à partager. Chez BIM&CO quand une personne est onboardée, on lui demande de faire un petit texte où elle va expliquer comment elle fonctionne, à l’aide de questions bien spécifiques comme : qu'est-ce qui te stresse, qu’est-ce qui te rend heureux, etc.
Deuxième étape, comme ce sont des personnes qui ont du mal à gérer leur stress, c’est d’explorer avec elles comment faire pour améliorer leur gestion du stress. La personne peut bien sûr faire un travail sur elle-même, mais les managers ont aussi une marge de manœuvre là-dessus :
déjà, en leur laissant du temps pour s'organiser, car ce sont en général des personnes qui ont besoin d'une grande organisation pour ne pas tomber dans le stress, et ce n'est pas en leur donnant vendredi à 18h une tâche très importante à rendre pour le lundi qu'on va réussir à manager cette personne. Dans tous les cas, et pas seulement avec les personnes hypersensibles, bien s'organiser est une bonne pratique pour les managers, il y aura plus d'impact en faisant des demandes en amont. Donc laisser le temps à une personnes hypersensible de s'organiser et de digérer l'information sans que le stress monte au maximum, est vraiment très important.
et ensuite, en les encourageant à aller chercher de leur côté des ressources, aller se renseigner sur ce qu'elles peuvent aussi cadrer elles-mêmes dans leur quotidien. Lina par exemple faisait des formations globales, pour tout le monde, qui s'appelaient “own your carrier”, donc “gère ta carrière” : une part importante de ces formations consistait à apprendre à se regarder, à s’étudier, comprendre son propre fonctionnement, ce qui est important pour moi, pour mon futur dans mon travail. Ces moments de regard sur soi sont très importants, et Lina pense que les managers doivent vraiment les encourager.
Une des clés, en particulier pour les managers, c’est de dédramatiser l'émotion, ce n'est pas grave, vu qu'on est tous émotionnel. Il ne faut pas avoir peur de l'émotion, ni de la sienne ni de celle des autres, cela aide vraiment à être beaucoup plus confortable avec les personnes qui sont très sensibles. Même si une personne en one to one était très triste, ou très en colère, il faut le voir comme une petite tempête qui passera à un moment donné.
A ce propos, face à une personne qui s’est mise à pleurer, il ne faut pas chercher à rassurer. En général, les personnes n'ont pas besoin d'être rassurées, elles ont un autre besoin qu'il faut aller chercher en fait et comprendre, et bien souvent c'est de l'information dont elles ont besoin en réalité. C’est une des pratiques générales de la CNV, aller chercher le besoin, aider la personne à exprimer une demande.
Un autre aspect concerne la question des limites. Certains managers se retrouvent parfois épuisés, dépourvus, ils ont l’impression de ne pas y arriver et que ça ne va jamais. Ils sont empathiques et veulent faire de leur mieux, du coup ils se retrouvent parfois à accepter des choses qui n'ont rien à voir avec l'hypersensibilité et ne sont pas acceptables. C’est très important de ne pas confondre empathie et sympathie, l'hypersensibilité n'est pas un laissez-passer pour faire n'importe quoi, et être finalement impossible à vivre. Une question qu’on peut se poser pour aider à faire la part des choses, c'est : ce que cette personne hypersensible est en train de faire dans mon équipe, est-ce que je l'accepterais d’une autre personne ? Si la réponse est non, c’est qu’elle dépasse certaines lignes rouges, il ne faut donc pas prendre sur soi mais au contraire ne pas l'accepter et aborder le sujet avec la personne.
Par exemple, si une des valeurs de l’entreprise est la culture du feedback, et qu’il y quelqu'un dans l’équipe de très sensible, et à chaque feedback c’est un débordement émotionnel très fort : si à la question de son besoin, elle répond qu’elle ne veut plus de feedbacks car elle n’aime pas ça, ce n'est pas acceptable. La réponse la plus juste à donner dans ce cas est : comment on arrive à travailler sous un angle de feedback ensemble qui te convienne ? C’est une question de respect. Quelles que soient les personnes d’ailleurs, c’est important de mettre un cadre sur ce qu'on peut faire, et tout ce qu’on ne peut pas faire.
Ce qui peut aider aussi un manager quand la relation est difficile, c’est d'exprimer aussi ses propres émotions, et dire par exemple : “moi aussi j’ai des émotions et je vais t'en parler. Quand tu exprimes violemment de la colère, voilà ce que ça génère chez moi”. Le fait de partager ses émotions va permettre de recadrer la discussion et de résoudre une grosse partie de la friction dans le relationnel. Le résultat peut être surprenant, et cela s’explique notamment parce que les personnes qui vivent des émotions très intensément ont en général une très forte intelligence émotionnelle. Et comme elles connaissent très bien les émotions, cela ouvre une porte, un dialogue dont il peut sortir des choses fascinantes. Par exemple, Alexis a vu le cas d’une discussion entre un CEO, perçu comme brutal et une de ses direct report qui était plus émotionnelle : la direct report disait qu’elle avait l'impression de ne pas exister, d'être un rouage, etc. Le CEO lui a répondu qu’il avait toujours le sentiment d’être le méchant de l'histoire, et quand il avait ce retour qu’il lui faisait du mal, il se sentait lui-même mal et il avait l’impression de n’être là que pour servir tout le monde, et que personne ne s’intéressait à son bien-être. L'autre personne est vraiment tombée des nues, car elle le voyait comme quelqu’un de costaud et toujours à fond. Et à partir de là, les choses ont changé. On a parfois l’impression que les personnes qui ont de grandes responsabilités peuvent tout gérer, mais en fait elles ressentent les mêmes choses que tout le monde, et ce n'est pas toujours facile pour elles.
Les personnes alexithymiques
Comme pour les personnes hypersensibles, il faut d’abord accepter qu'elles ne peuvent pas se connecter à leurs émotions. Elles ne le font pas exprès, elles ne font pas semblant, et ce n’est pas un manque d'empathie.
D’après l’expérience de Lina, il faut changer la façon de travailler avec ces personnes.
Souvent, il faut être très précis au niveau des questions posées, il ne faut pas rester dans le général. S’intégrer dans une équipe est souvent difficile pour ces personnes, car ce sont les émotions qui nous connectent aux autres. Pour avoir de l'information de cette personne sans aller sur le terrain des émotions, puisqu'elle ne peut pas y aller, et donc savoir comment la personne se sent, comment elle s’intègre dans une équipe, il va falloir poser ce type de questions très précises :
Comment s'est passée ta semaine exactement ?
Qu'est-ce que tu attends de moi sur tel projet ?
Comment tu veux progresser, réaliser tes succès ? etc.
Souvent aussi, ces personnes n’arrivent pas à exprimer leurs émotions à l'oral, mais ont une capacité à le faire à l’écrit. Avec un manager où elle n’avait aucun retour pour ses feedbacks à l'oral, Lina avait essayé de lui envoyer son feedback à l’écrit. Cela semble à priori contre-intuitif, parce que souvent le feedback à l'écrit est très mal pris, car on ne comprend pas tout, on n'a pas tout le contexte et notamment toutes les émotions qui se jouent à l'oral. Mais cela a très bien fonctionné, car il a pu voir quelque chose de très concret, d’écrit, et il lui a aussi répondu à l'écrit. Donc aller sur le terrain de l’écrit peut avoir vraiment beaucoup d’impact avec ce type de personnes.
Plus globalement derrière cette notion d'écrit / oral, il y a aussi celle de synchrone / asynchrone : il est possible de dire à la personne de prendre le temps de réfléchir, pour en reparler la fois prochaine, pour qu’elle réussisse à faire ce qu’elle n’arrive pas en direct.
A défaut de se connecter à leurs émotions, ces personnes sont capables de se connecter à leurs besoins. Donc plutôt que de leur demander “comment tu te sens”, on peut demander par exemple : “dans les prochains mois de quoi tu as besoin ?” ou “vis-à-vis de moi ton manager, de quoi tu as besoin ?”. C'est un terrain tout à fait explorable pour elles.
Et enfin, il faut beaucoup de patience avec ces personnes. Si elles sont souvent mises de côté du fait de leur difficulté à se connecter aux autres, elles ont en fait énormément de compétences et peuvent apporter des choses très positives à l'entreprise. Il faut donc de la patience pour les accompagner et les aider à s’épanouir dans l’entreprise.
Vous pouvez retrouver et contacter Lina Siarmento sur Linkedin,
et le site de BIM&CO à cette adresse : https://www.bimandco.com
Les ressources recommandées par Lina :
Making work work for the highly sensitiv person, de Barrie Jaeger
Reinventing organizations, de Frédéric Laloux
Les outils recommandés par Lina :
Les différents outils Culture Amp (sur la performance, la formation manager, la diversité / inclusion, l’engagement…)
ET CA FAIT QUOI BIM&CO ?
BIM&CO est une entreprise de la construct tech dans le secteur du BIM (Building Intelligence Modeling), qui consiste à faire de la gestion data et de la modélisation 3D dans le secteur de la construction pour améliorer la gestion de projet, mais surtout avoir un impact écologique, diminuer le nombre de déchets dans le monde grâce à une meilleure planification des projets de construction.
BIM&CO compte aujourd'hui 30 personnes, majoritairement en France, mais aussi en Espagne et en Chine. Une bonne partie travaille désormais 100 % à distance.
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