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COMMENT DEVENIR UN CHAMPION DE LA RÉTENTION DES TALENTS ?

Avec Kévin Bouchareb, ancien directeur du futur du travail et de la stratégie RH chez Ubisoft


Kévin Boucharef explique l'importance de la personnalisation de l'expérience utilisateur pour améliorer la rétention des talents
Kevin Bouchareb, ex-directeur du futur du travail et de la stratégie RH chez UBISOFT



Face à la difficulté à recruter, Kévin Bouchareb nous explique comment devenir un champion de la rétention des talents. A la fois un expert en innovation RH, professeur associé au CELSA et ancien directeur du futur du travail et de la stratégie RH chez Ubisoft, où il a pu tester, et explorer concrètement des thèmes comme la flexibilité, la personnalisation de l'expérience employé, l'équilibre vie pro / vie perso… Bref de tout ce qu'on peut imaginer comme pratiques visant à réaligner :les désirs et aspirations des candidats et des employés et la réalité des organisations qui est souvent plus rigide.


Il nous éclaire ici sur la mise en oeuvre efficace d'outils aussi structurants que la flexibilité, le télétravail, le work from anywhere,... pour améliorer l'expérience individuelle des employés et donc devenir un vrai champion de la rétention des talents.


CONTEXTE : POURQUOI S’INTÉRESSER À LA RÉTENTION DES TALENTS MAINTENANT ?


Depuis 10-15 ans, le marché de l'emploi est tendu, surtout dans la tech où il est difficile de recruter et de garder des profils de qualité. Et c’est encore plus vrai depuis 2021, période de “la grande démission” liée au Covid, qui a affecté de nombreux secteurs qui s’en remettent tout juste aujourd’hui : industrie, tech, hôtellerie, santé, transports


En 2025, les indicateurs prévoient une croissance globale, y compris en Europe et en France, ce qui va mécaniquement entraîner une hausse des besoins en main-d'œuvre dans un marché déjà pénurique. Parallèlement, la retraite des baby-boomers va venir aggraver cette pénurie ! Ce contexte rendra le marché de l'emploi extrêmement favorable aux employés.


Les profils techs, qui évoluent sur un marché globalisé, généralement ne regardent que les postes qui proposent de la flexibilité.


Que va-t-il se passer pour les entreprises qui n'ont pas une politique de flexibilité à la hauteur, et surtout pour celles qui se sont amusées à ouvrir grand les vannes de la flexibilité et du télétravail, et qui ensuite sont revenues sur ce qu'elles ont fait avec des prétextes fallacieux, en obligeant les gens à revenir au bureau ? Tout simplement, ce seront les premières à souffrir de cette situation... Lorsqu’elles vont rouvrir la question du télétravail - parce qu’elles ne pourront pas faire autrement en 2025-2026 - elles n’auront plus la confiance des développeurs, des ingénieurs en IA, etc. 


C’est pour ces raisons qu'il faut mettre en oeuvre ces politiques avec intentionnalité, il faut absolument se demander ce qu'on a envie de faire, pourquoi, comment, et essayer de réfléchir de manière profonde à ces politiques plutôt que de réagir aux à-coups du marché.

Il faut vraiment prendre conscience que ce que vous faites maintenant va avoir des impacts dès demain sur la manière d’attirer et retenir des profils rares - dont on sait qu’ils veulent de la flexibilité.

DÉFINITIONS : FLEXIBILITÉ, TÉLÉTRAVAIL, EXPÉRIENCE EMPLOYÉ


Derrière chaque concept, on peut trouver plein de pratiques différentes… Par exemple, la notion de flexibilité est un terme un peu fourre-tout, qui est parfois employé pour parler de télétravail, ou d’équilibre vie pro / vie perso, etc. Il est donc vraiment important de redéfinir précisément chaque mot.


  1. Flexibilité vs Télétravail

On mélange souvent la notion de flexibilité et de télétravail. Mais parle-t-on vraiment de la même chose ?


  • Le télétravail peut bien sûr être un outil de flexibilité lorsqu'il permet aux collaborateurs ou à l'équipe d'adapter le lieu de travail par rapport à ce qu'ils doivent faire.


  • Mais le télétravail peut, au contraire, devenir un outil de forte rigidité organisationnelle, lorsque - comme 60 % des groupes français du CAC 40 - on impose les jours télétravaillés et les jours non télétravaillés. Dans ce cas, on est plutôt dans une aberration organisationnelle que dans un outil de flexibilité… 


Donc attention, ce n’est pas parce qu’une entreprise vous propose du télétravail qu’elle vous offre pour autant de la flexibilité…


  1. Flexibilité vs Expérience Employé

Pareil pour l’expérience employé, sous ce terme peut se cacher 2 réalités bien différentes :


  • Soit, par souci d’égalitarisme - et c’est ce qu’on fait les RH pendant longtemps - on uniformise l’expérience employé, et c'est donc quelque chose de très rigide.


  • Soit on personnalise l’expérience employé pour répondre aux spécificités individuelles de chacun. Là, on est dans la flexibilité.


DEVENIR UN CHAMPION DU TÉLÉTRAVAIL


Le télétravail est-il un avantage ?


Pour beaucoup d'employés, et surtout pour beaucoup d’employeurs, le télétravail est décrit comme un avantage - au même titre qu’une bonne mutuelle ou des tickets resto. Pour Kévin, c'est une erreur de définition. Aujourd’hui, le télétravail est presque devenu une simple condition sine qua non du contrat de travail. Alors que normalement, derrière le télétravail, il y a une dimension beaucoup plus importante que ce simple type d’avantages


Donc souvent, tel que c’est proposé aujourd’hui dans un certain nombre d'entreprises qui ont mal saisi le sujet, le télétravail ne représente pas un avantage.


Le télétravail ne sera un avantage que si c'est bien fait, c’est-à-dire que c’est vraiment une condition d'organisation des activités permettant effectivement de développer une forme de flexibilité et d'équilibre vie privée / vie pro.


Les avantages pour les employés et les employeurs


Dans toutes les interviews que Kévin a pu mener, il n’a observé personne qui aspirait à télétravailler pour télétravailler, ça n’est un rêve pour personne. En revanche, énormément d'employés y voient les avantages suivants :


  • Il évite certaines contraintes structurelles comme les temps de trajet.

  • Il permet de limiter la vie de bureau elle-même. Car contrairement à ce que certaines études un peu fallacieuses essaient de faire croire sur les avantages de la vie au bureau (elle améliore le climat social, les interactions entre les gens, la culture, le sentiment d'appartenance, etc), cela n’a jamais été vraiment démontréC’est loin d’être la solution optimale, c’est même un obstacle à la productivité, voire au bien-être au travail dans un nombre très significatif de cas. Quelques exemples :

  • Votre collègue vient vous raconter son week-end alors que vous avez une réunion importante à préparer. Par politesse vous l’écoutez, mais vous perdez du temps, et en plus, une fois interrompu c’est plus difficile de se remettre dans une logique de productivité optimale.

  • La machine à café : elle est souvent louée comme étant un ciment de l'entreprise. Certes, mais une culture d'entreprise qui repose sur la machine à café - c'est-à-dire sur des relations exclusivement informelles - en général produit une culture de l'exclusion puisque les informations qui s'échangent dans les moments informels circulent mal autrement. Donc ce n’est pas si sain que cela en a l’air pour les relations de travail…


Et donc même si cela paraît contre-intuitif, intégrer du télétravail, d'une part pour des logiques de productivité individuelle, d'autre part pour des logiques d'équipes, cela permet de rééquilibrer le niveau de jeu, et de forcer tout le monde à avoir une communication écrite beaucoup plus structurée. L'information va alors circuler de manière plus inclusive.


En faisant les choses de cette manière-là, l'employeur - tout comme l'employé - a toutes les raisons d'y aller, car c’est un levier de productivité, d'engagement et de performance pour l'entreprise.


Le télétravail, une ode à l'introversion ?


Dans la société, environ la moitié des gens sont plutôt extravertis, et l’autre moitié plutôt introvertis - avec des gens qui parfois détestent même avoir des collègues de travail et venir au bureau (c’est particulièrement vrai dans le monde du jeu vidéo). Cela ne leur convient pas. Qui est-on pour décider à leur place si c’est bon ou pas de les faire venir au bureau ? 


C’est pourtant ce qu’on a fait pendant des décennies : on les a forcés à se fondre dans un moule qui est globalement celui de “l'extraverti hypersocial”, qui était la seule possibilité de réussite et de brillance au sein de l'entreprise. On le voit bien aujourd'hui, en fait il y a une multitude de personnalités au travail qui ont tout autant le droit de briller, et dont certaines d'entre elles sont effectivement plus performantes, plus engagées, et finalement plus sociables à distance qu'au bureau. Favoriser le télétravail n’est donc pas une ode à l’introversion…


Le modèle de télétravail idéal : le télétravail par activités


Pour prendre en compte ces considérations, il faut donc essayer de fonder un modèle de télétravail qui soit :


  • À la fois gagnant pour les extravertis hyper sociaux, avec des moyens de les regrouper ensemble quand ils viennent au bureau, d'avoir des activités qui permettent de les faire se rencontrer en dehors des silos organisationnels, etc. Ces personnes qui trouvent une certaine valeur au relationnel, qui ont l'habitude de travailler avec des collègues en open space par exemple, seraient clairement malheureuses dans une entreprise 100 % asynchrone.

  • Tout en offrant la possibilité aux personnes plus introverties de passer le maximum de temps en télétravail, pour qui c'est un avantage structurel, qui en ont besoin pour donner leur plein potentiel.


Parmi tous les modèles qui existent, c’est celui du télétravail par activités qui paraît le plus pertinent à Kévin. En fait, la question du télétravail ne doit pas être prise par le prisme du quand (c'est-à-dire combien de jours faut-il télétravailler), mais par la question du pourquoi : pourquoi faut-il venir au bureau, pourquoi faire ?


Là, on rentre sur le champ des activités, des tâches, où on va distinguer les activités qui souffrent de la distance de celles qui peuvent très bien se faire en distanciel. Voici quelques activités qui souffrent objectivement de la distance :


  • L'accueil des nouveaux arrivants : le côté solennel est important, s'imprégner de la culture de l'entreprise, voir des gens évoluer autour de soi… Sans cela, on l’a vu pendant la période covid, ça ne marche pas bien.

  • La formation : quand c’est 100% à distance, certains aspects de la formation, notamment tout ce qui est expérientiel, fonctionnent très mal. Les formations en présentiel sont beaucoup plus efficaces.

  • Des ateliers d'alignement sur des sujets structurants, notamment lors des lancements de projets : ce sont des moments où il y a besoin de confronter en direct des visions qui sont contradictoires. Mais on “se frite” mal à distance, parce qu'il manque le langage non verbal, l'énergie de la salle, etc. 


Une fois ces activités listées pour votre entreprise, il faut imposer que celles qui souffrent de la distance soient faites à 100% au bureau, sans exception. Toutes les personnes concernées doivent physiquement être là - sinon on retombe dans des aberrations organisationnelles où seule une petite partie des gens seront là, le reste étant en visio. Non, quand vous faites le télétravail par activités, vous avez 100 % de votre équipe qui est au bureau en même temps que vous pour faire ce que vous avez à faire ensemble.


Dans ces moments, vous pouvez mêler le formel (c’est-à-dire ce qu'on doit produire ensemble) et l'informel, puisque la journée ne va pas se dérouler de manière uniforme. Vous allez pouvoir faire le café, déjeuner ensemble… bref des moments qui permettent de créer du lien.


Kévin a estimé que ces activités représentent en moyenne 30%. Elles forment une rigidité organisationnelle qui rassure tout le monde :


  • Les leaders, qui veulent s'assurer que les activités critiques sont faites de la manière la plus productive, la plus stable, et la plus efficace possible.

  • Les employés hypers sociaux, qui ont besoin de voir leur équipe régulièrement.

  • Mais aussi les hypo sociaux ou les introvertis, puisque en échange de ces 30%, vous offrez une flexibilité totale sur les 70% des activités restantes, qui sont à priori plutôt des activités de production de travail personnel (production de documents, analyse documentaire…).


Et c'est là où c’est intéressant, car sur ces 70% restants, il est donné le choix au collaborateur :


  • Soit de rester chez lui ou chez elle si c'est là qu'il est le plus productif, et donc de faire jusqu’à 100% de remote sur la totalité du temps qu’il est possible de passer chez soi.

  • Soit de venir au bureau, jusqu’à faire du 100% office s’il le souhaite.


Là, avec le télétravail par activités, vous introduisez une vraie flexibilité par rapport à ce que vous devez faire et par rapport à qui vous êtes.


Pourquoi les employeurs préfèrent-ils la vie au bureau ?


Malheureusement, dans les faits, presqu’aucune entreprise ne pratique ce type de télétravail, alors que l’idée fait sens et qu’elle est finalement assez simple, avec de multiples avantages. Pourquoi les employeurs ont-ils cette tendance à pousser la vie au bureau au détriment du télétravail ? Globalement, le débat se situe autour de la question de la confiance et du contrôle, masqué derrière des bonnes intentions… Voici les principaux facteurs qui freinent la mise en place du télétravail par activités :


  1. Le complexe de Dieu :

Ce que Kévin appelle le complexe de Dieu, c’est un vieux problème qu'on retrouve dans le management - en particulier en France - qu’on peut énoncer ainsi : parce qu'on est décideur / CEO / directeur de quelque chose, on croit toujours mieux savoir que les employés ce qui est bon pour eux. Et on tient à l'organiser à leur place, on va donc structurer les conditions de travail à la place des autres ! C'est terrible, mais dans 80 à 90% des organisations, malheureusement c’est encore comme ça que ça fonctionne.


Évidemment quand on est dans cette logique-là, on doit apporter des réponses qui sont fondées de nouveau sur un socle égalitariste (ce qui est différent de l’équité) : il faut faire la même chose pour tout le monde, donc on fait peu cas des spécificités de chacun et des spécificités métiers des différentes équipes. Résultat : on moyennise par le bas, c'est-à-dire qu’on fait ce qui sera potentiellement acceptable pour tout le monde. Et on arrive à ce type de règles absurdes : 2 jours de télétravail par semaine maximum, pas le lundi ni le vendredi parce qu'il ne faudrait quand même pas que les gens puissent avoir des week-ends de 3 jours, le mercredi non plus parce que sinon les gens garderaient leurs enfants…


  1. Un problème de confiance :

Même dans des entreprises qui sont structurellement mieux-disantes sur ces questions que d'autres, Kévin a pu constater qu’elles galèrent aussi sur la question du télétravail. Là on touche le problème de la confiance, parce que le modèle de télétravail par activités suppose qu'on donne les clés de la maison à l'équipe et au manager (puisque c'est le manager finalement qui va faire vivre ce contrat de flexibilité, c'est le manager qui est garant des activités dites qui souffrent de la distance et celles peuvent très bien se faire à distance).


Donc c'est finalement lâcher prise sur le contrôle, et ça c’est compliqué pour beaucoup de dirigeants. Même pour des start-ups très orientées performance, objectifs, il y a toujours cette peur ancrée que si on ne regarde pas par-dessus l’épaule de son collaborateur, il va se la couler douce…


Pourtant, même au bureau, les responsables ne sont pas toujours derrière leurs employés pour vérifier qu’ils travaillent effectivement. Des gens qui ne travaillent pas en étant physiquement au bureau, il y en a pléthore, tout le monde a connu ce genre de cas… Et non seulement ils ne font rien eux-mêmes, mais ils embêtent ceux qui travaillent ! Alors, pourquoi cette situation de présentéisme les dérange moins que le télétravail ??? Parce que psychologiquement, ils estiment que la peine, la souffrance qui consiste à être coincé au bureau est plus supportable / légitime que de savoir que la personne est chez elle dans son canapé... C’est un raisonnement tordu, mais c'est vraiment ça qui est à l'œuvre !


  1. La sous-utilisation des locaux :

Il existe également une réalité immobilière qui irrite énormément les dirigeants et leurs directeurs financiers, c'est que si vous mettez ce type de télétravail en place, vous allez probablement vous retrouver avec une sous-utilisation des locaux, et ils détestent cela !


Pourtant, il est possible d'aller chercher des moyens d'optimiser cette surface immobilière (l'ouvrir au public, faire un espace de coworking, etc). Mais non, cette idée les dérange, donc ils préfèrent que vous veniez au bureau parce qu’ils payent un loyer pour cela, et ne veulent pas payer pour rien…


  • Comment réussir sa stratégie de télétravail ?


Ce mode de télétravail suppose d’avoir déjà mis en place quelques étapes intermédiaires :


  1. Un management par objectifs

La culture du travail qui est ancrée depuis longtemps en France, c’est qu’un salaire équivaut à un temps de présence passé au travail. Peu importe ce qu’ils y font…


Il faut donc changer de paradigme, et faire en sorte que ce qui est attendu des collaborateurs, ce ne soit pas du présentéisme, des heures, mais des tâches accomplies, des chantiers menés à bien, des résultats atteints… bref du management par objectifs.


Il faut donc sortir de cette culture du “vu”, c’est-à-dire : je ne te vois pas travailler, donc ça ne compte pas.


  1. Intégrer le “comment” dans les objectifs pour créer du lien social

On entend souvent qu’une entreprise en télétravail à 100%, ou même 90%, ne peut pas fonctionner - ou alors peut fonctionner, mais sera exclusivement transactionnelle et ne générera aucune valeur sociale.


Pour Kévin, c’est faux. Pour y remédier, dans la structuration des objectifs individuels et collectifs, OKR ou autres, bien sûr il y a le “quoi”, mais il recommande d’y ajouter le “comment” : comment vous vous comportez avec vos collègues ?


Il faut simplement imaginer des activités en présentiel ponctuelles qui permettent de fédérer ce lien, et ensuite les construire.


  1. Mettre en place une stratégie de communication plus complète

La communication au sein de l'entreprise et des équipes ne fonctionne généralement que d’une seule manière : la communication orale synchrone. Le problème, c'est que cette forme de communication est le dernier échelon et le plus trivial de la communication d'entreprise. 


Si on veut vraiment élaborer une démarche efficace de communication d'entreprise, on doit alors avoir des dispositifs de communication qui incluent les quatre types de communication : orale synchrone, écrite synchrone, orale asynchrone, et écrite asynchrone - chacun ayant ses propres médias, pratiques et canaux spécifiques avec leurs avantages et inconvénients.


Malheureusement, peu d'entreprises ont développé une vraie démarche de gestion des connaissances ou gestion de la communication, qui permet d'aller tirer parti de chacun de ces canaux, et aussi de permettre à chacun d'utiliser le canal optimal en fonction de sa personnalité. Car loin s’en faut, on n'est pas tous forcément très doués en communication orale synchrone


Quand certains PDG du CAC40 à Davos ont récemment dénigré le télétravail en le qualifiant d'inefficace pour la créativité, la productivité et l'engagement, pour Kévin cela sonne plutôt comme un aveu d'échec managérial : cela révèle surtout leur incapacité à aller adresser les verrous de performance, qui font que le télétravail appliqué dans leur entreprise marchera mal. Et donc admettre qu'ils ont été incapables dans leur propre entreprise de créer une culture de la confiance, de mettre en place des outils de communication et des canaux qui permettent à chacun de s'exprimer de manière plus inclusive, donc pas forcément de manière synchrone, etc.


Les impacts constatés chez Ubisoft


Chez Ubisoft, sur le télétravail par activités, Kévin a pu constater que :


  • Lorsqu'il en discute avec les équipes et les managers, c’est quelque chose qui est nettement plus accepté, plus facile à vendre, et aussi plus facile à organiser que n'importe quel autre mode de télétravail. Il n’est fait au bureau que ce qui compte d’être fait au bureau. Cela permet de fédérer les équipes et d'offrir un très haut niveau de flexibilité.


  • Dans les équipes qui l'ont bien fait, cela produit de l'engagement et une absence d'insatisfaction sur la question du télétravail - et donc ça va contribuer à la rétention. Quand on impose un retour au bureau sans demander l'avis des équipes, on voit clairement le lien entre cette politique de télétravail absurde et le taux de turnover. 


DEVENIR UN CHAMPION DU WORK FROM ANYWHERE


  • Définition du work from anywhere


Le Work from Anywhere, tel qu’ils l’avaient mis en place chez Ubisoft, offrait jusqu'à 20 jours de télétravail par an, dans n'importe quel autre pays de l'Union européenne, à condition d'avoir la nationalité d'un pays de l'Union européenne. 


Ces conditions sur la mobilité internationale s’expliquent par le droit (travail, immigration, taxes…) qui est différent d’un pays à l’autre, et dont les conséquences peuvent être graves si on ne les respecte pas. Dans l'Union Européenne, dans la limite de 20 jours par an, vous avez le maintien de votre sécurité sociale, donc aucun souci à se faire : il n’y aura pas de problème d'accident de travail, vous n'aurez aucun impact sur la fiscalité personnelle ou la fiscalité corporate, et vous n'aurez aucun problème sur le droit de l'immigration.


Donc n'importe quelle entreprise française qui en a la possibilité, pour qui ça fait du sens par rapport aux métiers qu'elle gère, peut demain ouvrir la possibilité à ses collaborateurs de télétravailler jusqu'à 20 jours dans n'importe quel autre pays de l'Union européenne.


  • Une réponse à l’aspiration de mobilité


Le Work from Anywhere est une vraie réponse à l'aspiration très forte de mobilité, que constate Kévin dans les études qu’il mène depuis un certain temps.


Cette pratique permet de casser ce rythme - finalement un peu absurde qu'on a hérité depuis longtemps - d’une alternance de 6 semaines de travail / 1 semaine de vacances. Là on peut hybrider ce rythme avec d’autres activités à l’étranger : visiter de la famille, se rendre à un événement, ou simplement prendre une respiration… et en même temps travailler !


Les retours des employés qui en bénéficient sont excessivement positifs.



RÉUSSIR SA PERSONNALISATION DE L’EXPÉRIENCE EMPLOYÉ


  • Contexte et définition

Pour Kévin, la personnalisation de l'expérience employé est la pratique qui lui semble la plus pertinente et alignée avec les aspirations actuelles des employés. Toute entreprise aujourd'hui devrait ouvrir ce chantier, c'est un des plus gros vecteurs de valeur ajoutée aujourd'hui en RH.


Cependant, c'est également un des projets les plus difficiles à mener. Pourquoi ? Parce qu’il contredit les préceptes égalitaristes hérités depuis longtemps en RH, qui a consisté à “acheter” la paix sociale en offrant la même expérience pour tout le monde.


Or, on le voit bien, nous sommes dans le siècle de l'individualisation, avec par exemple l'émergence des réseaux sociaux qui font que vous pouvez être l'artisan de votre propre image, de votre propre vie ; avec l'émergence également de nouvelles figures qui elles aussi sont très fondées sur l'individu, sur la personne. De même, l'idée derrière la notion de start-up nation, c’est que vous pouvez être le protagoniste, l'artisan de votre vie professionnelle.


Il y a donc un besoin de considération individuelle et personnelle très fort dans la vie au travail. Ce n’est pas nouveau, chaque personne a des besoins différents des autres : un jeune diplômé n'a pas les mêmes besoins qu'un pré-retraité, qui n'a pas les mêmes besoins qu'un jeune parent, etc. Et quand on rentre dans le spectre de la diversité/ inclusion, le spectre est encore plus grand, on n'a pas les mêmes besoins quand on est en situation de handicap physique que quand on est en situation de handicap mental, que quand on est dans le spectre de la neurodiversité, etc.


  • La méthode des personas

Comment faire pour que, dans ce siècle de l’individualisation, chaque employé puisse donner son plein potentiel ? Kévin propose d’utiliser la méthode des personas, qui existe déjà en marketing. De la même manière qu’on peut s’intéresser à ses clients ou prospects, on va s’intéresser aux besoins de ses employés pour leur offrir une expérience employé personnalisée dans l’entreprise.


Concrètement, cette méthode consiste à créer des profils types basés sur des caractéristiques et des besoins spécifiques des employés (par exemple un persona jeune parent), et ensuite de donner à chacun de ces groupes d'individus les armes et les outils qui leur permettent d'être meilleurs, plus performants.


On ne peut pas savoir ce qui est bon pour les gens à leur place, tout simplement parce qu’on n’a pas le vécu subjectif de chacun - bien sûr on n’est pas forcément une mère avec de jeunes enfants, ou en situation de handicap, etc. Kévin propose donc de passer le micro à ces personnes, et d’organiser des groupes de travail en posant une seule question très simple : De quoi avez-vous besoin pour donner votre plein potentiel ?


Par expérience, Kévin a constaté que les retours des employés se répartissent généralement en trois catégories :


  1. Les quick wins (50%) : Ce sont des suggestions simples et peu coûteuses, qu’on peut tout de suite mettre en place. Rien que ça, cela peut déjà tout changer ! Pas de réunion après 18h pour un jeune parent, c’est logique. 

  2. Projets à moyen terme (25%) : Ce sont des demandes légitimes mais qui nécessitent de l’investissement ou des ajustements structurels. Là ce seront des arbitrages à faire.

  3. Idées non viables (25%) : Ici ce sont des propositions trop complexes ou trop déstructurantes, qui compromettraient l’équité de traitement entre les collaborateurs. Donc des choses soit farfelues, soit pas du tout alignées ni avec la politique ni avec la linéarité de l'organisation. Ça, les gens sont capables de l'entendre. Si quelqu’un aimerait que l’entreprise ouvre des bureaux à Grenoble pour être plus proche de ses amis, évidemment ce n’est pas possible…


  • Avantages de la personnalisation de l'expérience employé


En mettant cette politique en place, vous allez trouver des réponses aux préoccupations concrètes des individus, vous allez anticiper des besoins qu'ils ont, et donc là vous faites vraiment de la rétention.


Et prenez conscience que tous les efforts que vous mettez pour aligner votre expérience employé sur les velléités ou les demandes qui sont issues de votre programme de diversité et d'inclusion, bénéficient à tout le monde.


Quand vous commencez à ouvrir l'idée selon laquelle votre lieu de travail, votre expérience travail, doit être pensée pour être la plus favorable possible par rapport aux différents individus (et pas par rapport uniquement à ces fameux extravertis hyper sociaux dont on parlait précédemment, qui sont ceux qui ont ruiné l'expérience employé depuis le modèle des années 70 / 80 / 90), alors effectivement on a toutes les chances d'en faire un levier de performance de l'entreprise.


EN CONCLUSION


Une fois que vous avez acquis une sensibilité à ces sujets, une fois que vous avez compris que c'était ça le futur du travail, il faut passer à l'étape suivante : se décider à y aller ! Arrêtez de vouloir border tous ces projets, de sécuriser de tous les côtés…


Comme disait souvent la DRH de Kévin chez Ubisoft, Anika Grant : test and learn ! C'est-à-dire si une bonne idée, une demande surgit, eh bien… essayez-la tout de suite, ne réfléchissez pas trop, mettez en place des indicateurs de succès.


Si ça marche, tant mieux, vous pouvez l’étendre.
Et si ça ne marche pas, vous aurez toujours appris quelque chose.


Vous pouvez contacter Kévin sur LinkedIn


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