Avec Eric Devianne, Talent Development Leader chez Decathlon
Eric Devianne est Talent Development Leader chez Décathlon depuis un peu plus d’un an. Avant cela, il a passé 4 ans chez Dahslane comme Talent Acquisition Manager.
En apparence, Décathlon est loin du format startup. En effet, le groupe leader dans la distribution d’articles de sport est présent dans plus de 60 pays avec 90 000 employés. Mais à y regarder de plus près, Décathlon est un peu “la plus startup” des grands groupes au regard de son agilité et de son sens de l’innovation.
Eric opère dans la partie Décathlon Technology qui regroupe tous les profils d'ingénierie & Product Management, c’est-à-dire les personnes qui travaillent sur des outils de supply (approvisionnement), de passage en caisse, sur le site e-commerce, et qui développent des applications à destination des collaborateurs et des clients. Cela représente en France environ 1200 personnes en tech (profils permanents) et 500 à 600 personnes à l’international.
Si Eric Devianne est l’invité du podcast Human Factor de Yaniro, c’est pour creuser un sujet très spécifique et assez peu commun : celui des jobtitles (intitulés de postes).
La spécialisation des jobtitles
En tant que DRH, Chief People Officer, People Experience Manager ou assimilé, le sujet des jobtitles est une préoccupation récurrente, que ce soit à travers le recrutement, les évolutions de carrière, la veille sur les métiers du marché… Or ils sont de plus en plus nombreux, ils se sont enrichis et spécialisés et répondent à une nouvelle réalité du marché.
Quand Eric a commencé à travailler en RH tech en cabinet il y a plus de 10 ans, les profils étaient :
soit MOA (Maîtrise d’Ouvrage), subdivisée en AMOA (Assistance à Maîtrise d’Ouvrage) et chefs de projets fonctionnels
soit MOE (Maîtrise d’Oeuvre), subdivisée en dév, archi, data, administrators...
Ces dénominations représentaient la réalité de l’époque. La tech a énormément évolué. On est passé de la méthodologie de cycle en V à la méthodologie Agile adoptée par les startups, ce qui a créé des nouveaux métiers et rôles : Product Owner, Scrum Master...
Outre l’évolution des méthodologies, ces nouveaux métiers reflètent aussi la spécialisation des métiers (data, bidgata). Autrefois on avait un Database Administrator. Aujourd'hui, on a un tel volume de données qu’il faut savoir aller les chercher (Data Engineer), les modéliser (Data Scientist) et les analyser (Data Analyst).
De même, dans le marketing, on faisait du marketing publicitaire à l’ancienne, maintenant il y a un Traffic Manager, du SEO, des Community Managers pour faire du contenu...
Importance et impact des intitulés de poste
Dans l’écosystème startup, les jobtitles se sont multipliés, très souvent en anglais, en raison de la création de nouveaux postes (ex. le Community Management) et de la segmentation des postes. Mais ils servent aussi à donner du sens à ce qu'on fait au quotidien.
La quête de sens
Certaines études montrent que les millenials (population active des 25-40 ans) accordent beaucoup d’importance à des métiers qui vont donner du sens à leur carrière.
Moins d’attachement à l’entreprise
De plus, ils ne restent pas toute leur vie dans la même entreprise et ils ont besoin que leur métier soit identifié à un autre métier dans d’autres entreprises, ce qui leur permettra d’être reconnus avec un certain niveau d’expertise quand ils voudront changer d’employeur.
Les jobtitles répondent donc à l’envie de donner du sens à un travail et d’être précis sur les mots, tout en créant une forme de standardisation (ex. usage de l’anglais) pour pouvoir transposer son poste dans un autre contexte.
Redéfinition des intitulés de poste IT chez Décathlon
Pourquoi redéfinir les jobtitles ?
En interne
Eric travaille actuellement à remettre du sens dans les intitulés de poste et faire évoluer les titres. Cette démarche a pour objectif de :
Permettre aux collaborateurs de Décathlon de se concentrer sur leur expertise; Leur donner de la visibilité sur leurs possibilités d’évolution
En externe
Pour l’entreprise, cela permet :
D’évaluer dans le périmètre IT le nombre de Développeurs, de Data Engineers, leur niveau de séniorité, la façon dont ils peuvent servir ses challenges. Ainsi elle peut améliorer sa gestion des compétences;
D’attirer les candidats avec les bons titres
D’annoncer la culture et la philosophie de travail de l’entreprise.
De créer un référentiel qui fait du sens pour ses collaborateurs, en fonction du marché mais aussi en interne pour avoir une meilleure visibilité sur son organisation.
Une forme de reconnaissance
D’une façon générale, nommer les différences d’ancienneté, d'expertise, de rôle… par des intitulés de poste est une façon de leur donner de l'importance.
C'est une forme de reconnaissance, La personne n'est pas juste « Dev », elle est « Dev Back end », elle est pas juste “Ingé” mais « Data Engineer ». L'entreprise reconnaît sa spécialité et l'impact qu'elle a. Le profil est défini avec plus de finesse (compétences, niveau d'impact, façon d’exécuter les choses, niveau de collaboration...) et on lui donne des perspectives.
On ne peut pas mettre dans le même panier quelqu'un qui a 6 mois d'expérience et quelqu'un qui a 10 ans d'expérience dans le même métier.
On reconnaît aussi son level : elle impacte une ou plusieurs équipes, elle a un directeur ou elle est sur un chemin d'expertise.
La reconnaissance améliore la rétention et l'engagement des collaborateurs, elle permet de clarifier les relations et les attentes entre le leadership et le collaborateur.
Elle crée de l'équité et de la stabilité.
La surenchère de titres dans les métiers de la tech
Il est donc important de prendre le temps de bien réfléchir au titre de poste quand on recrute mais comment le définit-on ?
Il y a une surenchère de jobtitles dans la culture des startups (“gourous”, “ninjas”, “héros”...). Les intitulés de poste dans les métiers de la tech ont été multipliés par 4 entre 2015 et 2019. Dans ce milieu, le marché du travail est très tendu et les entreprises rivalisent d'imagination pour attirer des personnes talentueuses. Pourtant le titre ne tient pas toujours ses promesses et il ne s’agit pas de tromper les candidats.
Avantages
Valoriser l’impact de certains postes
En écrivant « héros » ou « ninjas » au lieu d'ingénieurs, on reconnaît l’importance du métier et l'impact de la personne, le fait que les métiers de la tech sont aussi créateurs de valeur.
Se connecter avec certains candidats. Se démarquer.
Les jobtitles illustrent aussi bien la culture : dans une banque traditionnelle, on parle d'Ingénieur en Développement Logiciel. Chez Qonto ou Shine, on peut parler par exemple de « Rockstars ». Certains candidats vont se retrouver dans cette culture cool, où ils seront valorisés et vont pouvoir s'épanouir.
Inconvénients
D'autres candidats ne vont pas se retrouver dans cette culture ou dans un contenu de poste flou.
Par exemple, Buffer a peiné à recruter des femmes parmi ses développeurs parce qu’ils les appelaient des « hackers », un terme aux consonances très masculines dans lesquelles les candidates ne se reconnaissaient pas.
Comment trouver le bon équilibre ?
Un bon marketing doit être clivant pour ne pas être trop flou mais quand on cible un profil, il faut aussi se demander ce qu'on exclut avec son jobtitle.
La baseline
Eric conseille de mettre une bonne baseline sous l’intitulé “Ninja” (engineering) et une description qui cadre les spécificités du poste (front ou back, quel stack, niveau de leadership attendu, taille de l'équipe...). Quand la personne signe son contrat de travail, le titre sera bien « ingénieur en développement logiciel ».
L'intitulé un peu flou n'est pas un problème si on cadre bien dans la description de poste et en entretien pour ne pas déstabiliser et perdre le candidat.
Se demander qui on exclut
En revanche, en amont, il faut se demander “Qui ne postule pas quand je mets « ninja » ?”. En interne, il y a la réalité des choses et on ne peut pas faire un référentiel de métier avec des “héros” et des “ninjas”.
L’exemple du « Chief Happiness Officer »/« Happiness Manager ».
Ces intitulés donnent du sens à la fonction RH qui est parfois associée aux licenciements. Le mot “Happiness” met du sens et de l'émotion dans un titre et certains candidats se sont reconnus dans cette démarche.
En revanche, hors startup, le Happiness Manager a aussi beaucoup fait railler. Certains ont pensé que ce n'était pas un poste sérieux.
Finalement, le Happiness Manager a évolué vers Chief People Officer, gardant ainsi le côté humain sans l’ambivalence du mot “Happiness”.
Les mots ont une importance, il faut se poser la question de l’impact que va avoir notre jobtitle.
Attention, à force de vouloir se démarquer, on peut aussi se noyer dans la masse et décourager les candidats. Il faut un message clair.
La hiérarchie des postes (horizontalité/verticalité)
En startup, on constate un flou entre le discours officiel (toutes les startups disent qu’elles ont un management « flat », sans hiérarchie) et les intitulés de poste qui donnent 7 ou 8 niveaux.
Il faut toujours jongler entre être le plus “flat” possible, donc proche des gens, tout en ne se laissant pas déborder avec des équipes trop grandes, ce qui n’est pas toujours aisé dans un contexte d’hypercroissance.
Le “Head Of”
« Head Of » est un terme couramment utilisé mais pas très clair sur le niveau de responsabilité et le périmètre du poste.
Avantages :
Ça sonne bien d’être “chef de”, c’est attractif, on joue sur les mots. Toutes sortes de candidats vont cliquer parce qu’il y a un flou sur le niveau. Cette ouverture permet à la startup de prendre le meilleur.
On s’évite des problèmes organisationnels quand l’organisation n’est pas encore construite.
Inconvénients :
Qu’est ce qu’il y a au-dessus de Head Of ? Il faut anticiper la croissance pour structurer son organisation.
Dans une entreprise peu structurée, ce peut être un titre fantôme.
La différence entre manager et leader
Le terme manager se réfère au management de personnes. Le terme leader à celui de projets.
Eric Devianne précise qu’il est important en interne de définir un leader et un manager.
“Si on a un poste qui inclut du management, c’est-à-dire faire les entretiens de fin d’année des collaborateurs, les accompagner dans leur croissance, appelons-le manager plus que leader.” Sinon, on risque d’avoir un flou entre qui leade des projets, des initiatives et qui manage des équipes/des personnes.
C'est important de faire la différence entre les managers (senior manager, director level) et les leaders qui emmènent des gens et des projets avec un impact à différents niveaux.
Il faut apporter de la lisibilité sur la structure hiérarchique aux collaborateurs.
Autant on peut se permettre d’avoir un peu d’inefficacité organisationnelle dans un grand groupe, autant c’est impossible dans une équipe de 20 à 200 personnes.
Intitulé de poste, carrière et rémunération
Montrer les perspectives de carrière
Les niveaux servent aussi à reconnaître l’expertise sur un métier (impact, périmètre, compétence, responsabilité, manière d’exécuter, accountability, collaboration, leadership).
Les géants de la tech (Google etc) sont très précis là-dessus.
Eric suggère de consulter les sites https://www.levels.fyi/ et https://www.progression.fyi/ on y voit tous les niveaux existant chez Facebook, Google, Amazon… Il y a une structure qui permet à l’organisation de se projeter mais aussi aux collaborateurs de voir leur évolution (junior, intermédiaire, sénior), ce qui aide à la rétention des talents.
L’entreprise exprime ainsi clairement à ses collaborateurs ce qu’elle attend d’eux tout en leur montrant leurs perspectives de carrière.
C’est aussi une façon de s’assurer qu’ils/elles sont bien rémunéré(e)s par rapport à leur niveau.
Les jobtitles : un reflet de l’organisation de l’entreprise
Les intitulés de poste ne sont que la manifestation du travail fait en interne, ou pas.
Si l’entreprise a une grille de rémunération et un carreer path clairs, on peut expliquer très précisément les évolutions de carrière en termes de paie et de titre et on n’est pas obligé de créer un nouveau titre à la dernière minute juste pour contenter un salarié.
Derrière la question des jobtitles, la bonne pratique consiste à se poser toutes les questions sur son organisation, ce qu’on veut proposer comme chemin de carrière et comme expérience aux collaborateurs sur des profils tech, produit…
Car n’oublions pas que l’une des raisons principales qui poussent les personnes à quitter leur entreprise, au-delà du salaire, c’est l’absence d’opportunités de carrière.
Dans le champ des métiers technologiques, un développeur senior qui veut évoluer n’a pas forcément envie de faire du management. Si on ne lui propose rien d’autre, il finit par aller voir ailleurs.
Si on veut garder des experts, il faut créer des titres et des niveaux.
Il existe toute une branche de levels d’expertise (Staff, Senior staff, Principal… et même chez Google, Fellow Engineer…), avec lesquels on montre aux personnes où on met la barre et il y a des grilles de salaire adaptées.
Mettre des nouveaux titres ne résout pas tout mais c’est quand même la première étape pour répondre à une demande d’évolution de carrière et de sens d’un collaborateur.
A l’inverse, Facebook est connu pour avoir des titres “très plats”. C’est une manière de rester modeste.
Checklist de la création d’intitulés de poste
Dans le cadre d’une embauche
Quand on publie un poste, on a une approche marketing, sourcing, personae… On peut être créatif et spécifique sur ce qu’on attend, par ex “Front-end développeur sur telle technologie”.
Dans le cadre d’une réorganisation / structuration
Ce qui reste important pour les niveaux, c’est d’avoir de la cohérence sur les grandes familles de métiers. Si on a un niveau Director dans une famille de métier, ce qu’on écrit/attend doit être similaire dans une autre famille de métiers.
Pareil pour le contributeur individuel, avec l’échelle junior/intermédiaire/senior.
Peut-on utiliser le terme “Junior” ?
Junior ou Associate ? Senior ou Expert ? Tout dépend du métier.
Actuellement, on a tendance à voir disparaître la notion de junior parce que ça attire moins les candidats, y compris les jeunes diplômés.
En interne, pour des postes de product management ou de data, on utilise plutôt le mot Associate quand il s’agit de changement de métier (reskilling). Une personne qui a fait du product developpment et part sur du product management se reconnaîtra mieux dans le terme Associate Product Management parce qu’elle a déjà une carrière derrière elle. Elle ne se considère pas comme junior.
Familles et sous-familles
Jusqu'où faut-il aller ? Tout dépend des besoins de l’entreprise, de son industrie. Si l’entreprise est très orientée marketing, elle va peut-être séparer la personne qui fait du traffic management d’une autre qui est spécialisée dans un outil d’acquisition clients.
Mais si cela ne concerne que quelques personnes,il vaut mieux avoir une famille et traiter la notion de spécialité séparément sans rentrer dans le détail (Dire “Ingénieur en Développement Logiciel” sans préciser :back end, front end, mobile…).
Pour la partie recrutement, on peut se laisser aller à une certaine créativité d’un point de vue marketing mais dans l'organisation interne, on doit se demander comment les branches sont organisées les unes par rapport aux autres et les titres en découleront.
Vous pouvez contacter Eric Devianne sur LinkedIn.
Les ressources recommandées par Eric :
“Resilient Management” de Lara Hogan, un petit livre qui reprend les bases : comment comprendre son équipe, les différents types de management, comment faire grandir son équipe...
La newsletter de Hung Lee “Recruiting Brainfood” qui offre une sélection d’articles qui ouvrent l’esprit.
Le podcast “https://amplifytalent.com/podcast” de Lars Schmidt, avec qui Eric a collaboré chez Dashlane. Il interviewe des gens un peu partout et c’est très rafraichissant.
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